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dimanche 31 juillet 2016

Journal de nos jours (semaine 30/16)

"Tous les enfants devraient avoir la chance de vivre, dans des pays lointains, 
dans d'autres personnes, dans d'autres temps, une délicieuse double vie. 
Et ce plaisir, ils le trouveront dans leurs livres d'histoires."
Charlotte Mason.

L'arbre sans fin, Claude Ponti
 
Lundi 25 juillet

"Château fort sous pluie de bonbons", Antonin, 5 ans et demi (crayons de cire et gommettes)

8h00 : La semaine en commence pas sous les meilleures auspices - j'ai reçu une mauvais nouvelle ce week-end et j'ai un peu le blues. 
Heureusement, le soleil est dans le ciel... et dans les dessins de mes enfants !! 😄


10h00 : Nous punaisons dans le couloir l'abécédaire du blog "A la Douce".

Depuis quelques mois, hormis quelques paragraphes dans son Léo et Léa, Antonin refuse tout exercice de lecture.
Il s'est mis en mode "pause", en quelque sorte, et c'est tout à fait classique. 
Un apprentissage ne se fait jamais de manière linéaire ;
 pour bien apprendre, on est souvent obligé de ralentir, voir de régresser. 
Si ces respirations sont respectées, l'apprenant reprendra le fil de son apprentissage lorsqu'il sera prêt, et il rattrapera vite ce que l'adulte peut considérer comme du temps "perdu"... et qui n'en est pas ! 😊

La question à se poser, aussi, lorsqu'un enfant suspend ainsi sa progression, c'est :
"Que se passe-t-il en ce moment dans sa vie ?". 
On n'apprend pas avec sa tête, on apprend avec tout son être.
L'apprentissage est toujours étroitement connecté à la vie personnelle, il en fait partie. 
Pour Antonin, je ne crois pas me tromper : il est dans un moment de transition crucial 
(symbolisé par le passage en CP, d'ailleurs), il passe de "petit" à "grand". Il est un peu déchiré, 
car s'il est très fier de grandir, il a tout de même très envie de rester petit. 
Un indice que nous avons de cet écartèlement, 
c'est qu'il se met à parler "bébé" quand il est en prise avec ses émotions. 
Surtout, je m'applique à ne pas réagir négativement, même si c'est un peu agaçant !,  
mais au contraire à rassurer : câliner, chouchouter... 
Mon enfant sera toujours "mon petit", il faut qu'il en soit sûr, pour pouvoir s'autoriser à grandir.

Et pour revenir à la lecture, je ne fais aucune remarque.
Nous n'en parlons même pas. Mais d'ailleurs, 
ce n'est pas parce qu'Antonin ne veut plus lire qu'il ne développe plus ses compétences de lecteur !
Notre abécédaire est très attrayant, et les enfants adorent décrire les images, 
retrouver les cartes pour les accrocher dans l'ordre alphabétique, etc. 
Apprendre à lire, ce n'est pas déchiffrer ! C'est vivre dans le monde de l'écrit, 
y construire ses repères, et il y a mille et un chemins dans ce monde-là...!

Mardi 26 juillet


7h30 : Ça embaume dans la cuisine, ce matin !! 
Moins d'une semaine après la récolte, notre sarriette est sèche. 
Missions : effeuillage et pilonnage ! 😊


14h00 : Déjeuner tardif, issu à 100% de notre potager : 
pommes de terre (du jardin) sautées au thym (du jardin) 
+ Velouté vert à base de fanes diverses (du jardin). 
Ce dernier était un peu amer, mais à ma grande surprise les enfants ont apprécié quand même !


15h30 : Hier soir, au moment du dernier câlin, lorsque j'ai demandé à Louiselle :
 "Qu'est-ce que tu veux faire demain, ma chérie ?" - "Faire une activité avec les nombres !",
 s'est exclamé la Damoiselle.
Bon, alors là, y a plus le choix. Table de Seguin, nous voilà ! 

Mercredi 27 juillet

12h30 : J'édite enfin mon article au terme de plusieurs jours de travail, et j'éteins l'ordinateur.

Jeudi 28 juillet


13h00 : Déjeuner sur le pouce : mandala de petites choses fraîches... 
Tout vient du jardin !! ❤

Vendredi 29 juillet


12h00 : Nous sommes trois à préparer le menu du déjeuner, ce midi. 
Non pas moi avec deux petits aides, mais bien trois collaborateurs. ❤️ 
Cela me change (si il y a un truc que mon homme ne fait JAMAIS, c'est m'aider en cuisine ! ?) 
et j'adore !

J'ai encore un rôle un peu à part, en tant qu'adulte, néanmoins :
j'orchestre l'ordre et la nature des différentes actions parce que j'ai renoncé depuis longtemps à m'appuyer sur des images-recettes.
C'est trop fastidieux à fabriquer, et même à utiliser
(franchement tourner une page quand nos mains ruissellent de jus de betterave, bof).
Finalement, apprendre les "recettes" de base
(faire cuire du quinoa, y ajouter une noisette de beurre, trancher des tomates "dans le bon sens" et savoir comment les assaisonner, etc.)
relève de la tradition orale... Il en a toujours été ainsi, non ?
Les enfants apprennent à faire à manger avec leur parents, à l'aide du geste et de la parole... ?


14h30 : Nos petites activités autour de l'alphabet se poursuivent. 

Par exemple :
- Réciter l'alphabet (en suivant le modèle ou pas).
- Compter le nombre de lettres de l'alphabet.
- Montrer la 1ère lettre, la 8e lettre, la 13e lettre... etc. et dire son nom et le son qu'elle code.
- Compter le nombre de voyelles (en rouge) et de consonnes (en bleu), et les énumérer à haute voix.

En ce moment, nous profitons aussi des lectures d'albums pour faire ce petit jeu :
Louiselle compte le nombre de LETTRES contenu dans le titre,
tandis Antonin compte le nombre de MOTS que cela représente.


17h00 : Je reprends avec Louiselle un jeu que j'ai beaucoup pratiqué avec Antonin
 - elle aime autant qu'il a aimé. 
Il s'agit de disposer, bien en vue, des lettres (ou des chiffres) rugueux dans une pièce ou dans le jardin.
Je lui demande : "Où est le "t" ?", "Où est le "i" ?", et elle les désigne avec délice.
Quand elle maîtrise bien le jeu de lettres sur lequel on travaille, je les cache un peu mieux
(pas trop bien non plus !) et elle part à leur recherche, les nommant lorsqu'elle les découvre
 (on privilégie le son produit par la lettre et non son nom conventionnel, 
même si la Damoiselle les apprend en parallèle, au contact de son grand frère).

Succès garanti ! 

 Samedi 30 juillet


5h30 : Réveillée ce matin par les hurlements d'Antonin...  

Lorsque le Damoiseau est en phase de sommeil léger, il a tendance à se réveiller, et cela lui fait peur. Il n'a pas peur du noir ou des fantômes : 
il a peur de s'être réveillé et de ne pas parvenir à se rendormir. Le soir, 
l'endormissement est très compliqué de ce fait, et il n'est pas rare qu'il se réveille en pleine nuit. 
Ses hurlements réveillent toute la maisonnée ! Je me couche à côté de lui, 
il se rendort en général très facilement, mais il n'en est pas de même pour sa sœur... ou pour moi... ? 

Je ne sais pas trop quoi faire pour le rassurer... 
L’ostéopathie, l'homéopathie et les Fleurs de Bach se sont révélées impuissantes... 
Et si je proposais aux enfants de partager la même chambre ?
Il a peut-être besoin d'être avec quelqu'un ??

Du coup, c'est le branle-bas de combat à l'étage des enfants. 
Nous testons cette nouvelle organisation une semaine, et si elle se révèle satisfaisante, 
je déplacerai tous les meubles et réfléchirais à un agencement... A priori, les enfants sont ravis... 😉

Ouf !, Ghislaine Roman, Tom Shamp

11h00 : Retour de la bibliothèque... avec une pépite ! 😊

Voici "OUF !", un livre EXTRAORDINAIRE, qui relate la vie d'une petite graine, 
qui va devenir un arbre à la suite de miracles successifs. 
Mais quelle poésie pour cette thématique archi-réaliste ! 
Oh, la prose cadencée de Ghislaine Roman ! Oh, les illustrations de Tom Shamp !! 
Ce sont de véritables œuvres d'art, des peintures sur bois, chaudes, vivantes, 
qui intègrent dans le dessin juste ce qu'il faut d'éléments surréalistes que les paysages semblent vraiment vrais, justement. J'ajoute que le texte de cet ouvrage magnifique est en cursive :
je sais que beaucoup de personnes recherchent ce type d'ouvrage…
Celui-ci est tout à fait adapté aux lecteurs débutants. Régalez-vous !!! 😊

Dimanche 31 juillet


12h00 : Au menu : une tarte aux poireaux du jardin !
Ils sont délicieux, très tendres,
vraiment différents des gros machins coriaces qu'on trouve dans le commerce.
J'ai fait une tarte vide - frigo, avec tous les petits restes qui traînait : un peu de crème végétale,
un peu de sauce tomate, un peu de Parmesan, l'intérieur de courgettes que j'avais farci hier...
Résultat : c'est TROP bon !


12h30 : Vous souvenez-vous de la chrysalide que nous avonsdénichée la semaine dernière ?
Voilà, le papillon est né peu après midi.
C'est une jolie noctuelle du chou, de bonne taille et en belle santé.
Nous l'avons relâchée dans le bûcher,
elle s'est empressé d'aller se cacher pour se remettre de ses émotions - et attendre la nuit.


21h00 : ... et je suis toujours devant mon ordi...
C'est que je finalise la chasse aux trésors de demain !  😄

Bonne semaine chez vous ! 
😊

vendredi 22 juillet 2016

Ecrire sur la bienveillance ?

"Les enfants, vous voulez que je vous raconte mon histoire de quand j'étais petite ?
- OUIIIII !"

Attention, ce n'est pas UNE histoire "de quand j'étais petite" : ce n'est pas une de ces anecdotes qui me reviennent parfois et dont le récit fascinent mes enfants.

Non. C'est MON histoire. Telle qu'on pourrait la résumer en quelques mots - qu'Antonin et Louiselle connaissent d'ailleurs par cœur. Je commence :

"Alors, quand j'étais petite, j'étais très très sage. Tout le monde disait : "Oh, quelle gentille petite fille, qu'est-ce qu'elle est sage !". Les gens me tapotaient la tête en me disant : "C'est très bien d'être sage, continue comme cela."

J'étais fière puisque tout le monde trouvait ça bien : je ne pleurais pas souvent, je disais "Oui, oui" à tout ce qu'on me proposait. Quand même, des fois, j'avais une émotion ou deux qui essayaient de sortir. Alors, les adultes disaient : "Oh, mais tu fais un caprice !! C'est très mal, les caprices, c'est une horreur. Une petite fille sage comme toi, quel dommage !"

Alors, pour que être sûre que les gens m'aiment toujours, je devenais de plus en plus sage.

Le problème, c'est que quand les émotions ne sortent pas, elles s'entassent à l'intérieur. On en a de plus en plus, là et là, partout : de la colère, de la tristesse, et ça gonfle, ça gonfle...".

A ce stade du récit, je mime quelqu'un qui enfle : mes joues se bombent, mes mains miment une aura malsaine autour de mon corps qui grossit, grossit...

"Et PAF !, s'exclame Louiselle. On éclate !"

"Oui, on éclate. A l'adolescence, j'ai éclaté."

 "Tu as dû beaucoup, beaucoup pleurer, alors", dit Antonin, qui sait de quoi il parle.

"Oh, oui, et j'ai beaucoup, beaucoup crié aussi. J'ai essayé de faire sortir. Personne n'y comprenait rien. Les gens disaient : "Où est passée la petite fille si sage ?"

Le problème, c'est que je me suis aperçue à ce moment-là que je ne sentais plus grand chose. Ma tristesse et ma colère était en moi depuis trop longtemps. J'avais appris à ne pas les sentir, et du coup, je ne savais plus sentir les autres émotions non plus, celles qui font du bien : la joie ou l'amour, par exemple.

Mais aujourd'hui, je m'occupe de mes émotions. J'ai fini par comprendre que  toute cette colère et toute cette tristesse venaient surtout de ce que mon père m'avait abandonnée. Ça, je le sais, mais je n'ai pas encore réussi à sortir tout le mal que ça me fait à l'intérieur. C'est de mieux en mieux mais il reste toujours, dans les petits coins, de vieilles émotions qui ne veulent pas sortir...

Souvent, elles ressortent à des moments très bêtes : quand je dois faire du ménage et que je n'ai pas envie, par exemple. Alors, à ce moment-là, vous vous mettez à courir en criant, et je me fâche très fort. En réalité, ce n'est pas parce que vous courrez que je me fâche. Ce n'est pas non plus à cause du travail que j'ai à faire. C'est juste une vielle émotion qui essaie de sortir... et qui n'y arrive pas comme il faut !

En tous cas, ces émotions-là, ce sont les miennes, pas les vôtres. Je m'en occupe. C'est du travail, ça va me prendre du temps, mais je m'en occupe. 
Vous, vous avez vos émotions à vous. Vous vous en occupez. Et je trouve, moi, que c'est très important de les faire sortir, tous les jours, pour ne pas qu'elles s'entassent."

***


On me reproche souvent par ici de ne pas écrire sur l'éducation bienveillante. Cela m'interroge autant que cela m'amuse, car pour moi, j'ai l'impression de ne faire que cela ! 😄

Qu'est-ce qu'écrire sur la bienveillance ? 

Écrire sur la bienveillance, ce n'est pas... peaufiner de beaux tableaux bien lisibles, bourrés de conseils décontextualisés, qui feront un tabac sur Pinterest, du genre : "10 encouragements à prodiguer à mon enfant" ou "15 idées pour se reconnecter après l'école" ? Je suis comme tout le monde, j'adore ce type d'articles, mais sérieusement, vous me voyez dire à mon fils :

"Attends, attends, tu vas te mettre en colère, laisse-moi retrouver la liste des "10 réactions à avoir face aux colères de votre enfant", et ne commence pas sans moi !" ? 😄

Écrire sur la bienveillance, ce n'est pas... s'ébahir de ce que les parents "non initiés" font de travers. Mais pourquoi croyez-vous que ma voisine n'est pas bienveillante ? Parce qu'elle a envie de faire du mal à ses enfants, de les élever de la pire manière qui soit ? Tenez, c'est cela, lorsqu'elle est tombé enceinte, elle s'est dit : "Cet enfant, je vais le frapper et l'humilier, je vais m'amuser comme une folle...". Allons. L'unique barrage à la bienveillance, nous le connaissons tous, c'est nous-mêmes. Cette femme a été battue, insultée dans son enfance, et le spectacle de son propre enfant, qu'elle aime pourtant plus que tout au monde, lui est en réalité insupportable. Son fils la renvoie à ses propres besoins d'enfants qui n'ont jamais été pris en compte, à sa vulnérabilité, dont son entourage adulte a abusé... Et que fait-elle ? Elle fait ce qu'on lui a fait pour ne plus voir ce qui la fait tellement souffrir, car en réalité elle est littéralement menacée dans son intégrité par cette souffrance. Et elle hurle, et tape. Qui oserait lui lancer la première pierre ! Certainement pas un parent bienveillant, n'est-ce pas ? Car la bienveillance ne s'adresse pas qu'aux enfants, mais aussi aux adultes qu'ils deviennent...

Bon, je ne vois qu'une voie possible : écrire sur la bienveillance, c'est se pencher sur son histoire propre, comprendre ce qui dérape quand on n'est pas le parent qu'on voudrait être, le formuler et se pardonner. 

Écrire sur la bienveillance, c'est écrire sur soi, et voilà sans doute pourquoi je ne sautais pas le pas. 

Bon, en même temps, maintenant c'est fait. 😉

Mais je doute, du coup, que cela réponde à vos attentes... ! 😄

lundi 11 juillet 2016

De nos mains


Mes souvenirs d'enfance sont nombreux et précis. L'image la plus récurrente,  celle qui domine le vaste paysage hétérogène des 18 premières années de ma vie, la voici : ce sont les mains de ma mère


Ma mère, lorsque je lui rendis visite la semaine dernière, s'est encore défini elle-même comme quelqu'un "d'essentiellement créatif". Ce que je confirme. Voilà 38 ans que je vois ses mains voler à diverses tâches : du petit bricolage aux travaux de force (exécutés avec une opiniâtreté surprenante chez ce petit bout de femme de 50 kilos), des "travaux de dame" au  jardinage - et puis l'écriture, l'écriture, l'écriture... C'est comme si, à force de vivre à ses côtés, mes mains avaient contracté le même virus. Et parfois, lorsque je les vois s'agiter devant moi comme si elles ne m'appartenaient plus, dans ce détachement si particulier que procurent les tâches créatives, il me semble que ce ne sont pas mes mains, mais les siennes qui agissent ainsi...


Antonin a récemment fêté son demi-anniversaire. Comme d'habitude, j'étais très en retard pour la confection du petit cadeau maison que (du moins, j'essaie !) je m'applique à fabriquer pour chaque fête significative. J'avais opté pour ce tutoriel-là, qui a fait mainte fois le tour de la toile et qui me semblait correspondre : 1. aux intérêts du Damoiseau. 2. à mon idéal esthétique en matière de jouets. 3. à mes piètres talents de couturière. Puisque j'étais en retard, je n'avais plus de raison de me cacher, et je décidais de coudre nos petites fraises en feutrine sur un coin de table, dès que l'occasion se présenterait de sortir ma boite à ouvrage.
 

Lorsque je commencé à coudre, je me suis mise à penser à ma mère, à ses mains fines et mates, aux veines proéminentes. Je les ai vues comme je les voyais enfant : comme leur geste expert m'impressionnait ! Je me suis souvenu de cette maison de poupée qu'elles avaient fabriqué à partir de matériaux de récupération, et de cette robe qu'elles avaient cousu en exemplaires jumeaux, une pour Maman et une pour moi, alors guère plus âgée que Louiselle aujourd'hui... Et de ces romans pour enfants que je leur inspirais sans doute, et dont Maman me lisait de longs extraits lorsqu'elle estimait qu'ils en étaient dignes, et cette terrasse de jardin que ses mains creusèrent seules, dont elles construisirent seules les fondations à partir de matériaux locaux - sable et galets, pierres diverses...

Et puis j'ai continué à penser à ma grand-mère. Hélas, je ne revis pas ses mains à l'ouvrage, dont je ne serais bien incapable de dresser un portrait. Mais je sais que ce furent des doigts de fée. Née en 1910, ma grand-mère connaissaient les secrets des jeunes filles d'alors : trousseau de mariée, layette, dentelles et broderies si fines, que je les croyais réalisées par de petites souris. Les mains de ma grand-mère, mariée en 1938, connurent, hélas, aussi un autre sort : laver le linge de 8 personnes à la cave dans l'eau glacée... Ses doigts se couvrirent d'engelures qui laissèrent des dommages irréversibles...

Au fil de ma rêverie, j'ai commencé à remonter un arbre généalogique imaginaire, et j'ai pensé à mes ascendantes, et à leurs mains. Il m'a semblé voir leurs fantômes se superposer à mon souvenir d'enfance - ma mère expliquant à la petite fille que j'étais alors : "Tu piques l'aiguille droite dans ma première maille en la passant sous l'aiguille gauche...". J'ignorais alors que j'apprenais bien plus qu'un point de base. Mais aujourd'hui, lorsque je croise le regard de mes enfants sur mes mains, je sais.


Ce que j'ai appris alors, ce sont mes mains qui l'ont appris. J'ai souvent eu, cette sensation, dans ma vie, que mes mains savaient mieux que moi. Par exemple, lorsque je passais un examen important, elles prenaient les rennes. Ce sont elles qui décident de chaque mot à chaque article que j'écris. J'ai longtemps hésité à m'autoproclamer, à l'instar de ma mère, "essentiellement créative" sous prétexte que je n'ai pas de machine à coudre, que mes tricots sont rarement finalisés et que je ne peins plus pour le moment... Un comble pour quelqu'un qui vit l'appareil photo à la main et qui saute sur son clavier pour écrire dès que trois minutes se profilent dans son emploi du temps...
😄

Et lorsque j'ai suivi, point par point, ce modeste tutoriel de petites fraises en feutrine, mes enfants m'ont regardée : avec incrédulité, d'abord (comment une fraise allait-elle naître de ce morceau de tissu plan ?), puis avec étonnement. Je me suis sentie magicienne, détentrice d'un savoir ancestral... Louiselle a demandé à coudre elle aussi, bientôt rejointe par Antonin, qui montra alors une opiniâtreté digne de sa grand-mère. Cet après-midi-là, retranchés dans la cuisine pour cause de canicule, nous avons cousu, et le Damoiseau réalisa une fraise de A à Z. Mes enfants ont regardé le mouvement de mes mains et leurs mains ont appris. Certes, les doigts de Louiselle se fatiguaient parfois, et ceux d'Antonin oubliaient de tenir l'aiguille par le chas, ce qui faisait que l'aiguillée se défaisait à chaque point. Nous ne parlions pas beaucoup, mais la connexion était tangible. Et sans doute, au dessus de nos têtes, mes ascendantes (et ascendants ?) observaient la scène avec approbation.


Bien sûr, lorsque je crois voir, dans un mirage, les mains de ma mère en lieu et place des miennes, je m'interroge : quelles parties de moi seront effectives chez mes propres enfants ? Il y aura entre eux et moi autant de différences qu'entre ma mère et moi - un gouffre.  Mais leurs mains auront appris, par la pratique, quelque chose des miennes. Sera-ce le tricot, la cuisine ou la photographie ? 

L'avenir le dira. Pour l'heure je suis flattée du regard qu'ils portent à mes gestes. En tant que parent, je distille un amour qui me dépasse. 😊