Dédié à Gwladys, Stéphanie, Fabienne, AnnieF... et les autres, si je les oublie ! 😊
Rien de nouveau sous le soleil (ou devrais-je dire "sous la neige", qui tombe sans discontinuer depuis plusieurs jours). Je suis
toujours débordée par les mails que je reçois, et je ne parviens pas du tout à y répondre...
Tout ce que je réussi à faire (parfois), c'est recouper les questions récurrentes et à écrire un article de temps en temps pour les traiter. Nous sommes loin de la réponse personnalisée que vous espériez, je m'en doute, mais... Comment dire ? Je suis Maman, moi aussi, et je travaille à plein temps, j'ai des cours à préparer, une maison à tenir ainsi que quelques obligations sociales, je gère plusieurs blogs, j'écris pour l'édition... So... J'espère que vous ne m'en voudrez pas trop, mais je n'ai pas le temps de répondre à chacun... :-(
Pour me faire pardonner, je propose que nous réfléchissions ensemble aujourd'hui sur une question qui m'est souvent adressée : "Par où commencer ?". Je me permets de reprendre le mail de G. reçu il y a 15 jours et qui exprime très bien le problème :
"J'ai découvert la pédagogie Montessori, puis, de fil en aiguille toutes les autres pédagogies alternatives. Sauf que je bloque. Je n'en pratique aucune parce que je me sens perdue, noyée par trop d'informations. Par quoi et comment commencer ? J'aimerai tellement accompagner mon fils de 15 mois dans son apprentissage, et appliquer un peu ce que j'ai lu !"
Mon premier sentiment en lisant ce type de message, c'est que cette Maman se dévalorise certainement. L'entrée en pédagogie active n'est pas progressive, c'est un saut : soit on est dehors, soit on est dedans. Et se poser ce type de question, c'est être dedans, sans aucune doute ! 😄
En pédagogie active, les activités proposées (leur nature, leur fréquence...) sont secondaires. C'est ce qui fait toute la différence avec la pédagogie traditionnelle, qui considère l'enfant comme un vase à remplir, et qui centre du coup sa réflexion sur ses fameuses activités au lieu de se centrer sur l'enfant.
Pratiquer les pédagogies alternatives, c'est adopter une posture en tant qu'adulte, qui tente de s'articuler sur le PLUS GRAND principe éducatif de tous les temps - celui qu'il faudrait retenir si on ne devait en retenir qu'un seul :
L'enfant apprend en faisant,
et non pas simplement en restant assis et en écoutant.
Nous l'avons tous constaté : nous pouvons répéter à longueur de journée : "Ne touche pas au chauffage, cela va te brûler !", rien n'y fait. Notre bambin continue de tourner autour, l'air tenté. Que se passe-t-il si d'aventure il le touche ? Il se brûle. Et n'y touchera jamais plus. Il pointera le radiateur du doigt en s'exclamant avec autorité : "Non ! Chaud !". Il a tout appris en une seule expérience là où nos mises en garde incessantes ont échouées. Si vous êtes en train de virer "perroquet", observez-vous quelques heures : vos paroles n'enseignent rien à votre enfant. Une des raisons est que vos mots n'évoquent aucune expérience à votre tout-petit. "Qu'est-ce que se brûler ? Quel rapport cela a-t-il avec cet objet rutilant ? Pourquoi Maman prend-elle cet air catastrophé pour prononcer ces mots bizarres ???"
Par où commencer ?
A vrai dire, si le paragraphe ci-dessus correspond à un de vos constat, vous avez déjà commencé. 😉
Pratiquer, c'est : 1. Se questionner. 2. Observer. 3. (Inter)Agir.
Pratiquer, c'est aussi se tromper, et accepter de ne pas être parfait en tant qu'éducateur.
Par où commencer ? Je vous propose aujourd'hui quelques exercices pratiques, simplissimes et progressifs. Réalisez-les, l'un après l'autre, et vous serez entré de plain pied dans la pratique des pédagogies alternatives ! Et sans doute vous apercevrez-vous du même coup que vous faites tout cela depuis longtemps... 😉
(Petit message pour F. : ces exercices sont réalisables dans un cadre scolaire, mais porteront sur l'observation de petits groupes d'enfants - cinq élèves, pas plus, idéalement !)
Exercice 1 : Observez votre enfant pendant qu'il joue avec l'eau (dans son bain, par exemple). Dans un cadre scolaire, placez cinq cuvettes sur le sol, dans les sanitaires de l'école. Remplissez chacune d'eau et de quelques récipients. Les enfants manipulent librement, accroupis, avec la consigne de rester chacun au dessus de sa cuvette - l'activité individuelle favorise la concentration.
Observez, c'est-à-dire posez-vous ces questions : "
Quels sont les savoirs qu'il ou elle est en train de construire ? A quoi vont-ils lui servir ?". Votre enfant dans son bain tient précautionneusement un petit récipient sous le robinet qui coule ? Il est en train de faire l'expérience du débordement ! A chaque fois qu'il versera dans son récipient un volume d'eau supérieur à sa capacité, ça débordera. C'est une règle physico-mathématique primordiale.
Quand un enfant joue avec l'eau,
il construit un savoir sur l'eau.
Il sent que ça mouille. Il voit sa transparence, il entend le bruit des
clapotis, il sent la résistance de sa surface lorsqu'il la frappe. Il
constate qu'elle coule. Qu'elle peut être chaude ou froide. Qu'elle
remplit certains contenants et filtre à travers d'autres.
Contrairement à une idée reçue (héritée de la technicité montessorienne, certes extrêmement efficace, mais qui s'exerce dans un cadre spécifique),
il ne faut surtout pas hésiter à interagir avec son enfant ! C'est même absolument primordial pour son développement affectif et intellectuel.
La seule règle à respecter, c'est de
ne pas briser sa concentration. Observez : votre enfant est "immergé" dans son geste, ses yeux sont rivés à ses mains, sa bouche est entrouverte : il "s'oublie" dans l'activité, il EST l'activité. Lui parler à ce moment serait dommage, vous l'en extrairiez. Mais observez encore : vient le moment où l'enfant se tourne vers vous, il rencontre votre regard. Mieux, il le cherche : l'enfant A BESOIN d'être observé, et peut-être a-t-il besoin, à cet instant, de s'assurer que vous le faites. Vous échangez un sourire, un geste, une mimique, peut-être une observation.
C'est comme une respiration : il y a des temps d'inspiration, où l'enfant est centré sur soi. Son geste le remplit, l'absorbe. Et puis il y a l'expiration : c'est comme un réveil. L'enfant revient à la réalité et éprouve le besoin de connecter son expérience avec son monde. C'est une étape absolument nécessaire pour que ce qu'il vient d'expérimenter fasse sens.
C'est le moment pour vous d'agir : verbalisez l'expérience vécue. Encore une fois, un seul principe à retenir :
dé-cri-vez. Ne cherchez pas à expliquer, mais questionnez plutôt. "
Tu remplis le bol ? Oui, ça déborde. Comment tu fais cela ?". Vous lui fournissez alors le concept correspondant à son expérience. "
Ah, déborder.
Cela s'appelle déborder". Votre enfant a peut-être entendu ce mot des centaines de fois auparavant, mais s'il n'était pas connecté à une expérience (rappelez-vous l'exemple du chauffage), il n'aura pas pu l'intégrer.
Exercice 2 : Observez votre enfant pendant qu'il joue avec le sable. En milieu scolaire, cette activité peut être aménagée de manière similaire à précédemment (un petit bac par enfant avec quelques accessoires simples). Quand les enfants font leur travail (ce que nous appelons "jouer"), ils
construisent des savoirs sur le monde. Ils expérimentent la manière dont
les objets se comportent. Ils découvrent la manière dont ils peuvent
s'en servir.
Voilà que votre enfant remplit le tamis de sable sec. La matière passe à travers, et vous percevez une surprise dans son regard, dans ses gestes... Il se tourne alors vers vous avec un regard interrogateur. Sentant qu'à ce moment-là vous n'affectez plus sa concentration, vous communiquez brièvement : "
Tiens. Que se passe-t-il quand tu remplis le tamis de sable sec ? On recommence ? Oh, ça coule, ça coule !".
You got it.
😉
Un petit pas de plus : Rien ne vous empêche de jouer aux côtés de votre enfant. Au contraire ! Ces temps d'action partagée sont certainement ce qui nourrit le plus profondément votre relation.
Comment faire ? Le plus simple est d'agir aux côtés de l'enfant. Respectez son espace vital : ne lui prenez rien des mains, surtout !, mais tendez-lui volontiers vos outils s'il le désire. Le mieux est de disposer des accessoires en double, et d'
imiter l'enfant. Il prend le sable à pleine main ? Faites de même. Il tape avec la pelle sur son seau pour l'enfoncer dans la matière ? Vous aussi, sur le vôtre.
L'imitation est un mode de communication à part entière pour les jeunes enfants. En tant qu'adulte, nous l'avons oublié, d'une part parce que nous disposons d'autres canaux, d'autre part parce que notre société blâme l'imitation ("
Il fait pareil, il copie ! Alors, c'est qu'il n'a pas de personnalité !")... bien à tort, évidemment.
Exercice 3 : Observez votre enfant pendant qu'il joue avec ses cubes. En classe, on a tout intérêt à aménager
un espace "cubes" permanent.
La première fois que l'enfant tente d'empiler quelques éléments, tout s'écroule. C'est une autre règle physique. D'ailleurs, toutes les tours de cubes s’effondrent, à un moment ou à un autre. C'est dans leur essence. Mais on peut essayer de monter la tour la plus haute possible. Quelles sont les stratégies de votre enfant ? Observez, décrivez au moment opportun. Pensez-vous que votre enfant aurait pu construire abstraitement le fait que les cubes tombent, s'il n'avait jamais manipulé de cubes ? Regardez-le : il teste cette règle, encore et encore - et au passage, il s'amuse, bien sûr : c'est excitant tous ces bruits et ces mouvements lorsque l'édifice bascule ! On rigole bien. Les moments de concentration alternent naturellement avec les moments de communication. Verbalisez : "
Les cubes tombent ! Encore !!". Imitez en construisant une tour similaire. Avez-vous remarqué comme le fait d'imiter les gestes de votre enfant rend votre observation plus profonde - et vice-versa ?
😉
Un petit pas de plus : c'est un tout petit peu plus délicat, mais vous pouvez décider, en jouant aux côté de votre enfant, de déborder du cadre de la simple imitation. Vous pouvez décider de jouer pour vous-même aux côtés de votre enfant. Que savez-VOUS faire avec des cubes ? Éprouvez pour vous même le plaisir du jeu : c'est encore la manière la plus efficace d'envoyer à votre enfant un message positif sur l'activité et de nourrir, une fois de plus, votre relation. Sans vouloir foncer tête baissée dans les clichés, les Papas sont généralement très forts pour ça : là où les Mamans, pétrifiées d'admiration face aux travaux de leurs enfants, se contentent d'admirer, les Papas se mettent à 4 pattes sur le tapis et jouent avec les cubes, les Playmags, des Mécanos ou le train électrique. Avez-vous remarqué l'effet de telles séances sur votre enfant ? "Bénéfique" est un mot trop faible, n'est-ce pas ?
😉
On me dit : "
Mais j'ai peur que mon enfant m'imite ! Moi je veux qu'il trouve sa voie, pas qu'il fasse comme moi !". Rassurez-vous : pour pouvoir "faire pareil", il faut en être capable. Si vous construisez un palais baroque avec les cubes de votre bambin, il ne va pas chercher à vous imiter, cela ne va certainement même pas l'intéresser (sauf au moment de tout casser !), et pour cause :
il ne peut l'intégrer dans aucun de ses savoir-faire à lui. Aucune crainte à avoir, donc.
Mais il peut être intéressant - et c'est là que l'exercice se révèle un peu délicat, et présuppose que vous soyez entraîné à observer - de réaliser une construction que votre enfant ne peut peut-être pas encore réaliser seul, mais dans laquelle il peut s'investir s'il est dans la collaboration. C'est ce que Vygotsky (un de mes pédagogues chouchou) appelle "
la zone proximale de développement". On fait alors non plus exactement la même chose que l'enfant, mais ce qui correspond
au palier suivant. Par exemple, si votre enfant aligne ses cubes à plat bord à bord, vous observez qu'il est capable de soulever ses cubes et de les positionner avec précision. Tous les prérequis pour construire une tour sont donc là, mais visiblement, votre enfant n'y songe pas. Rien ne vous empêche de le faire, vous. Si votre enfant est prêt à intégrer ce nouveau savoir, votre proposition l'interpellera. Vous enrichissez (très légèrement !) le savoir-faire de votre enfant en vous appuyant sur ce qu'il sait déjà. Et si cela vous parait compliqué à lire comme ça, je vous assure que cela vient vite !
Vous êtes à présent convaincus que votre enfant apprend par l'expérience concrète et le jeu, et cela n'est pas seulement une expérience livresque : vous l'avez observé et vécu. Voici à présent quelques idées simples pour déployer ce principe dans votre vie de tous les jours :
- Variez le matériel proposé. A la maison, instaurez une rotation des jouets et inscrivez-vous à une ludothèque de secteur. A l'école, il peut être bénéfique que toutes les classes mettent leur matériel en commun, et que chaque enseignant pioche dans cette réserve à chaque période.
- Remisez ce qui n’intéresse pas les enfants. N'hésitez pas à revendre ou à donner!
-
Proposez une grande quantité de "camelote" (appelez-la "
loose parts" si vous craignez de ne pas être pris au sérieux
😊). Assurez-vous toujours que les objets proposés ne présente aucun danger pour les enfants.
- Proposez peinture, papiers, colle, scotch, feutres, ciseaux, eau et autre matériaux "ouverts" (l'anglais dit joliment "open-ended", "illimités" !) en quantité. Prenez l'habitude de regarder le monde autrement, avec cette question en tête : avec quoi mes enfants/mes élèves aimeraient-ils travailler ?
- Acceptez le désordre. L'exploration n'est pas propre sur soi.
- Enrôlez les enfants dans le rangement et le ménage après l'activité. N'oubliez pas qu'ils apprennent en faisant ! Ranger et nettoyer sont d'excellentes occasions de trier, classifier, se concentrer, résoudre des problèmes, etc. L'activité pédagogique, c'est comme le yoga : la manière dont y rentre et celle dont on en sort compte autant que l'exercice lui-même. Les enfants aiment aider - bon, ça marche mieux à l'école qu'à la maison, ceci dit. Dotez cette activité de sens : ranger n'est pas une corvée, ce n'est pas une fin en soi, mais c'est une manière de préparer l'ambiance à ce qui va arriver après.
- Laissez les enfants jouer !! 😊
Prenez le temps d'intégrer ces principes à votre vie de famille : cela peut prendre plusieurs mois, le temps que vous trouviez votre organisation. Ensuite seulement, posez-vous la question des activités que vous souhaitez proposer... Vous pourrez alors lire
cet article-là qui aborde ce point précis, mais à mon avis, à ce stade de votre cheminement, vous constaterez que cette question n'est plus un problème, et que vous savez faire. Et que vous savez que vous savez.
😉
J'espère de tout cœur que le présent article répondra à vos interrogations...
Dans le cas contraire, merci de me relancer dans les commentaires, plutôt que par mail... Mais vous l'aviez compris ! 😄
Les grains de sel de tous sont, comme d'habitude, très attendus ! 😊