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mardi 2 janvier 2018

Premier récit (avec un peu de grammaire dedans)


Une invitation/provocation, en pédagogie, ce n'est pas forcément une installation complexe. Parfois un tout petit changement dans l'environnement de l'enfant va l'amener à travailler différemment. La preuve chez nous, la semaine dernière. 😊

Lundi :

Je mets à disposition des enfants de toute petites chutes de papier à dessin que je rechigne à jeter. Elles mesurent entre 5 et 10 cm de côté et je ne vois pas trop qu'en faire. Je suis loin de me douter alors que ce petit bout de matériel va engendrer un grand projet. 😊

Ma première constatation, quelques heures plus tard, c'est que ça plait. Les deux enfants sont penchés sur le papier, ce n'est que conciliabules et éclats de rires. Antonin est armé d'un beau feutre à dessin chipé à son Papa. Ma foi, cela m'a tout l'air d'un chouette moment entre eux : les enfants sont dans leur délire - comme bien souvent, et j'avoue que je le remarque à peine, sur le coup. 

Mais quelques heures plus tard, en retrouvant les productions, je constate que ce format inhabituel a induit chez Antonin des dessins finement travaillés, détaillés, d'où il ressort une énergie rare (cf. illustration ci-dessus).

Nous décidons donc de coller immédiatement tous ces petits morceaux de dessins sur une grande feuille blanche, afin de les conserver dans notre port-folio. Antonin appose la date au dos de l'œuvre, fièrement, comme d'habitude (à l'aide de son dateur chéri, vous en ai-je déjà parlé ?).

Mardi :

Le dessin, bien sûr, traine. Il n'a pas été rangé tout de suite. Nous hésitons à l'afficher quelque temps quelque part - peut-être sur le réfrigérateur, ou dans la chambre d'Antonin. Il nous semble qu'il en vaut la peine, mais pour le moment, il traine.

Louiselle tombe dessus et s'y penche, se remémorant sans doute le bon moment de la veille, et se met à raconter les dessins de son frère. Soudain, quand on l'écoute, ils semblent tenus par une unité, un peu comme les vignettes d'une BD. Antonin et moi sommes attentifs, une idée se fait jour dans ma tête... Mais je préfère attendre un peu. De toute façon, il est l'heure d'aller dormir. 😊

Mercredi :

Je reprends la feuille - qui traîne toujours, et demande, un peu solennelle : "Vous vous souvenez de l'histoire que Louiselle racontait hier en regardant ce dessin ?". Moui. Ils se souviennent. Peut-être un peu. Pas bien. Bon, je déclare qu'on va essayer de coucher par écrit l'histoire que racontent ces chouettes dessins. Que je vais prendre leur récit en note, parce qu'on va commencer à écrire une histoire.

Comme très souvent dans cette situation de passage de l'oral à l'écrit, l'imagination des enfants semblent bridée. Ils essaient de formuler les images qui traversent, fulgurantes, leur imagination colorée. Mais ils y parviennent mal, et s'accrochent au figuratif : le dessin. Leur discours verse dans le descriptif : "Il y a un pirate ... et un escargot ... et une maison ....".

Pour l'adulte, il y a un côté un peu désespérant, que je connais bien pour l'avoir souvent éprouvé en classe : quoi ? Où est passée le récit foisonnant de la veille ? Mes enfants ne sont-ils même plus capables de produire des phrases ?

Je le sais bien : écrire est, depuis mon enfance, ma passion et ma croix. Je sais que ce n'est pas facile, oh ! Je sais que tout texte, aussi satisfaisant qu'il soit à l'état final, a d'abord émergé en l'état d'embryon. Une suite de noms. Par exemple.

Allons-y pour des noms. Ça tombe bien, Antonin sait parfaitement ce que c'est, un nom - et Louiselle a déjà rencontré cette notion à travers les travaux de son frère, elle ne lui est pas inconnue. Recueillons donc ces noms pour ce qu'ils sont : la condition de possibilité de notre histoire, notre point de départ.

J'attrape une feuille de papier et trace un beau tableau. J'intitule la première colonne "Noms" et je pose la question aux enfants : "Alors, redis-moi et j'écris. Qui est-ce, là, sur tes dessins ?". Je note, scrupuleusement, sans rien changer.


Je relis tout cela et conclus : "Voilà, tout ça, ce sont des noms. Notre histoire va parler de ces personnes et de ces objets. Maintenant, j'aimerai en savoir un peu plus sur eux. On va ajouter des adjectifs : tu vas me dire comment chacun de ces objet, chacun de ces personnages, est."

Et zou : "Il y a un pirate. Comment est-il, ce pirate ? - Méchant. Bien. Et ses amis, commet sont-ils ? - Méchants aussi. - Donc, j'écris "méchants". Et l'escargot ?". La deuxième colonne se remplit, et je termine en relisant le tout, sans commentaire : "Donc, on a : le pirate méchant, les amis du pirate méchants, un escargot gentil...".

"Super. Et maintenant, tu vas me dire ce qu'ils font. Je réserve une colonne pour les verbes, tu vois ?"


(N. B. En vrai ce sont des groupes verbaux plutôt que des verbes. Tant mieux, c'est plus riche)

Laissons tout cela décanter. De toute façon, il est l'heure d'aller dormir. 😊

Jeudi : 

Je reprends notre tableau : "Aujourd'hui, on va écrire notre histoire, celle à laquelle on travaille depuis plusieurs jours déjà". Je lis chaque ligne, à la suite, comme je le ferais de phrases. Puis je propose de me faire secrétaire : "Observe ton dessin, il va t'aider à raconter l'histoire. Moi, je note ce que tu me dis. "

La magie opère : Antonin est lancé. Loin d'être prisonnier de nos notes, il énonce un texte qu'il a eu le temps de mûrir. Il ne fait que deux phrases, me direz-vous. Mais elles sont fort complexes. De la prise de note à la production finale, le travail de l'auteur s'est accompli. In fine, nous sommes face à une histoire ... brève, mais construite. 😊


Le fait que je me fasse secrétaire et prenne en charge la copie du texte énoncé libère Antonin, qui a 7 ans depuis trois jours, d'une surcharge cognitive. Il se concentre sur la production, sans se soucier de l'encodage. Dans un second temps, il copie son texte fièrement sous ses dessins - ce qui explique l'absence d'erreurs orthographiques, inévitables à son âge en  situation de production libre.

Et moi, je suis heureuse de vérifier ce que je crois depuis longtemps : que la grammaire n'est pas une science désincarnée et glacée qui n'a été théorisée que pour enquiquiner les écoliers. Mais qu'elle est un outil merveilleux qui aide des hommes à structurer et à exprimer leurs idées. Et à écrire. 

Voilà donc où nous ont mené nos petites chutes de papier à  dessin ... Heureusement que je ne les ai pas jetées ! 😊

4 commentaires:

  1. Bonjour, et tout d'abord bonne année !
    Un grand MERCI pour cet article, je trouve ce travail de production d'écrit génial. Et alors, que dire de la conclusion ! Moi qui me questionnais justement sur l'intérêt de la grammaire, il y a de ça une dizaine de jours... J'étais arrivée à ta conclusion mais sans conviction, et là avec ton article je suis désormais archi convaincue !

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    1. Merci Anne-Sophie, pour ce retour ! Moi aussi, ça me conforte ! :-)

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  2. Chère Elsa,
    Voici un commentaire "commande d'article". J'aimerais beaucoup avoir des précisions sur la méthode que tu utilises pour la grammaire avec Antonin. J'ai vu sur Instagram et sur quelques photos que tu as les symboles Montessori. Peux-tu faire un article comme tu en as fais pour l'apprentissage des mathématiques?
    Merci d'avance,
    Odette

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    1. Bonjour Odette !
      J'adore les "commandes d'articles", tu fais bien de demander !
      Je prends note, j'essaierai de rédiger ça un de ces quatre ! :-)

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